" La grève
reconductible est-elle trop politisée ? Mettre le chaos dans le
pays revient-il à prendre les enfants , les usagers, les citoyens
en otage ? "
Qui
met le chaos dans le pays ?
Peut-on qualifier
de responsable un gouvernement incapable de tenir compte d'un mouvement
social massif et populaire ? Il tente de minimiser le conflit en donnant
des consignes aux préfets et aux médias pour trafiquer
le nombre de manifestants et de grévistes. Il veut casser les
grèves, non-violentes, par des intimidations sous forme de violences
policières, de plus en plus fréquentes. Il divise les
syndicats et les grévistes par des négociations "
privées ". Il joue avec le temps en misant sur les vacances
d'été pour passer ses projets en force à l'Assemblée
Nationale.
C'est le gouvernement
qui prend le pays en otage, niant toute citoyenneté en voulant
imposer son idéologie libérale.
Que
signifient les projets du gouvernement ?
La plupart des médias
nous empêchent de prendre du recul. Le gouvernement n'agit pas
seul. Il existe bien une volonté mondiale de casser ce qui reste
de services publics. Il s'agit d'offrir au privé et donc aux
dividendes des actionnaires l'éducation, la recherche, la culture,
les retraites, la santé, le social
Il s'agit de réduire
l'Etat à ses fonctions régaliennes répressives
(armée-police-justice), de décentraliser pour déréglementer
et en finir avec les acquis sociaux.
Des générations
entières se sont battues, avec courage et dignité, parfois
au péril de la vie, pour rendre cette vie plus juste, plus humaine.
C'est cette solidarité-là que les gouvernements veulent
détruire. Pour les retraites par exemple, peut-on accepter que
l'allongement de la vie se traduise en régression sociale (travailler
plus longtemps pour une retraite plus petite) ?
Quelles en seraient
les conséquences ?
Au lieu d'améliorer
les services publics au profit des usagers, seuls les intérêts
financiers des actionnaires de ces services privatisés seraient
désormais pris en compte. Tout deviendrait monnayable : l'éducation,
la solidarité, l'art, la science et la sagesse
Conséquences
immédiates : des systèmes à deux vitesses,
pour les riches et pour les pauvres ; des inégalités sociales
et territoriales ; une précarisation croissante de la société
; la répression comme négociation sociale.
Conséquences
à plus long terme : à cette précarisation des
sociétés riches comme la nôtre correspondrait une
faillite des Etats pauvres en Afrique, en Amérique latine et
en Asie. En effet, l'aboutissement de la politique du FMI, de la Banque
Mondiale et les accords de l'OMC conduisent et conduiraient ces Etats
à abandonner leurs efforts d'éducation et de santé,
à ruiner leur agriculture vivrière, à déposséder
leur population de savoirs agricoles synonymes de survie. D'où
des risques majeurs de conflits, une militarisation extrême de
la société, une atteinte irréversible à
l'environnement de la planète.
Accepter les
projets Chirac-Raffarin c'est ouvrir, cette fois beaucoup plus vite,
cette boîte de Pandore.
L'exemple
de l'Education
Peut-on accepter
comme avenir : des classes à 35, la fin de l'aide aux enfants
en difficulté, la fin de l'école maternelle, la fin des
aide-éducateurs et des surveillants, la fin des missions de santé,
d'aide sociale et d'orientation dans les établissements scolaires,
la fin de la formation continue des enseignants, la fin des projets
culturels, la course au rendement scolaire, la concurrence entre écoles,
entre collèges et lycées aux moyens de plus en plus inégaux,
l'ingérence des élus dans la pédagogie avec le
contrôle des crédits et de la carte scolaire, la soumission
de la formation aux besoins économiques locaux immédiats
? (liste non exhaustive, car ce n'est qu'un début
)
Les
syndicats et les grévistes sont-ils irresponsables ?
L'exemple des
retraites
Le discours économique dominant consiste à vouloir faire
porter l'effort sur les seuls salariés et précaires et
à qualifier le mouvement social de démagogue. Or des propositions
très sérieuses, chiffrées, existent pour financer
les retraites sans régression sociale. La retraite pour tous
à 37,5 annuités sans augmentation de cotisations salariales,
c'est tout à fait réaliste. Il suffit de lire les tracts
syndicaux ou des journaux comme Politis, Alternatives Economiques, Le
Monde Diplomatique ou bien d'autres, qui fourmillent de propositions
sérieuses.
L'utilisation des richesses du pays est un choix politique.
Syndicats et
grève générale
Dans l'enseignement, on peut regretter la multiplication des grèves
d'un jour, inefficaces, d'octobre à avril, et le retard des confédérations
syndicales par rapport à la base pour lancer la grève
reconductible. On peut regretter la lenteur des confédérations
interprofessionnelles pour s'engager dans la grève générale
alors que la base exprime depuis longtemps sa solidarité avec
le mouvement enseignant. Une action générale plus précoce,
synchronisée et courte aurait sans doute été plus
efficace, en terme de rapport de forces, que ces hésitations
qui pénalisent le mouvement.
Y a-t-il d'autres
moyens que la grève ?
Actuellement non. Ce mouvement a pris des proportions inédites.
Même les personnels de direction des établissements secondaires
et les inspecteurs de l'Education Nationale expriment au minimum leurs
critiques vis à vis du gouvernement.
Stopper le mouvement, ce serait nous retrouver en septembre avec les
lois de régression votées. Pourrions-nous alors repartir
au travail, défaits, tête basse, en rejetant nos valeurs
humanistes ?
Il nous faut maintenant
aller jusqu'au bout, en créant le rapport de force décisif,
pour obtenir l'abandon des projets gouvernementaux. Il faut imposer
des négociations sociales pour répondre aux besoins de
la société et non aux délires des actionnaires.
Il faut mettre en uvre de nouvelles formes de démocratie
participative et une culture de négociation, afin que de tels
conflits puissent être traités en amont, sans les lourdes
conséquences que nous connaissons : perturbation de la fin de
l'année scolaire et des examens, perturbations familiales et
économiques, sacrifices de nombreuses journées de salaire
des grévistes.
Afin de ne pas pénaliser
les élèves et les étudiants, il est tout à
fait possible et il serait raisonnable de reporter la rentrée
scolaire de septembre, le temps de faire passer les examens, d'orienter
et de répartir les jeunes. Que signifierait la tenue d'examens
dans le contexte actuel, avec une telle proportion de grévistes,
avec le stress et les inégalités qui touchent élèves
et étudiants ? Des examens reportés devraient en outre
voir les jurys tenir compte des conditions exceptionnelles de passage,
en valorisant l'évaluation continue.
C'est le gouvernement
qui, par son aveuglement et son obstination, prend le pays en otage.
Le seul choix qui s'offre à nous, c'est se résigner ou poursuivre
le mouvement pour gagner et pour construire de nouvelles formes d'engagement
citoyen.
Quel monde voulons-nous offrir à nos enfants ?
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