Voilà
en vrac quelques raisons qui me font refuser de participer à
cette consultation nationale.
J'ai
fait grève comme jamais j'ai fait grève dans toute ma
carrière parce que je voulais résister à l'emballement
de notre société vers l'ultra libéralisme et qui,
dans son sillage, entraînait le système scolaire.
Durant ce mouvement, nous avons parlé et nous avons écrit.
Non seulement on n'a pas voulu nous entendre mais pire on nous a, dans
un premier temps, ignoré pour ensuite mieux nous écraser
avec le faux débat autour du paiement, non paiement de nos jours
de grève. On a voulu faire croire que notre mouvement correspondait
seulement à un malaise enseignant, qu'il fallait nous aimer et
pour cela on allait nous faire parler sans se rendre compte qu'on était
déjà aphone de hurler dans la rue tous les deux jours.
Cette parole, le gouvernement a voulu s'en emparer pour mieux la contrôler
et pour mieux la manipuler. C'est pourquoi, je ne peux pas lui faire
confiance. Des choses à dire, j'en ai des milles et des cents.
Sauf qu'en ce moment, nous sommes dans une période de résistance,
et que j'aurai avant tout envie de réfléchir, avec ceux
qui ont été dans la grève avec moi, mais pourquoi
pas aussi avec les parents d'élèves, comment dans ma classe,
dans ma vie de tous les jours je peux porter des actes de résistance
à cette société individualiste du tout marchand.
Le
débat qu'on nous propose n'est, de plus, pas neutre. En mai,
lors des premières A.G, on parlait surtout retraite et décentralisation
de l'Education Nationale. Puis très vite les débats se
sont élargies à l'O.M.C, à l'A.G.C.S, à
la sécurité sociale parce qu'on s'est vite rendu compte
que la loi de décentralisation faisait partie d'un projet bien
plus vaste. Et là, tout d'un coup, on accepterait de parler de
l'école sans parler de la société qui l'entoure.
Mais plus personne ne croit à l'image d'Epinal qui veut que l'enfant
qui franchit la porte d'une école ou d'un collège laisse
là tous ses soucis. Alors comment parler des missions de l'école
sans parler du contexte social et économique dans lequel évoluent
les enfants. Pendant le mouvement de grève, quelqu'un avait parlé
d' "insécurité sociale ". Il n'est pas rare
d'entendre aux informations de 20 heures une nouvelle mesure gouvernementale
qui, dixit le plus souvent les journalistes, vont pénaliser les
plus bas revenus et de ça, on ne voudrait pas que j'en parle.
Dans ma classe, pourtant, je la côtoie chaque jour ce que j'appelle
la " déficience mentale sociale ".
Cette
consultation s'apparente d'autre part à une fausse démocratie.
Et je pense que ce type de démagogie peut quelque part mettre
en péril la vraie démocratie. Nous sommes dans la société
du micro-trotttoir, de la télé-réalité.
On fait croire aux gens que leur avis instantané sur tout et
n'importe quoi intéresse les autres et même ici, dans cette
consultation, nos dirigeants politiques. La démocratie s'est
construite sur le droit de vote où chacun, en son âme et
conscience choisissait ses dirigeants. L'école avait comme mission
d'instruire ce futur citoyen et de former son esprit critique. Quelle
place notre société actuelle, à travers notamment
les médias, donne t-elle à la réflexion ? A aucun
moment, dans le fascicule de présentation, on invite les gens
à réfléchir, c'est leur " expérience
personnelle " qui intéresse. Oui, mais que vaut cette expérience
sans réflexion ? Rien répondrait Piaget. Alors quelle
place peut prendre la réflexion dans un débat publique
de deux heures où les gens vont venir avec leur vécu plus
ou moins positif de l'école, avec leur angoisse que leur enfant
ne puisse pas se faire une place dans cette société qui
exclue près de trois millions de ses actifs
?
La réflexion demande du temps et de la formation. Mais ce temps
là, nous ne l'avons pas. Les synthèses des discussions
seront rendues, dixit le papier de présentation, en mars 2004.
Pour des débats qui vont démarrer au plus tôt en
décembre
Avec les fêtes de fin d'année et
le ski en février, il va falloir faire vite. Mais rassurez-vous
quand même, notre avis les intéresse tellement que l'on
peut envoyer nos contributions jusqu'en septembre 2004, toujours dixit
ce même papier.
Je trouve enfin les questions orientées. Je prends un exemple
que je connais bien : Question 14 " Comment scolariser les élèves
handicapés ou atteints de maladie grave ? Sous question : Faut-il
davantage intégrer les enfants handicapés dans les classes
ou développer l'enseignement spécialisé ? ".
Spontanémént, notre bonté d'âme ne peut que
nous pousser à dire, en chur, qu'il vaut mieux les intégrer.
Oui, sauf que ce n'est pas si simple et c'est là que la réflexion
devient importante. Que, par exemple, pour des enfants sourds, une bonne
intégration au collège peut passer, avant, par le besoin
d'une structure spécialisée de type CLIS qui accompagne,
au départ, ces enfants plus individuellement et leur apprend
à gérer leur handicap. Que, pour l'instant, intégration
rime trop souvent en France avec économie. Il est alors important
de savoir qu'en Italie, pays qui a choisi de privilégier le tout
intégration, chaque enfant handicapé intégré
dans une structure ordinaire apporte avec lui la présence d'un
enseignant supplémentaire. Car choisir, c'est aussi assumer ses
choix.
Un autre exemple, la question 19 que l'on peut facilement mettre en
résonnance avec notre mouvement de grève " Faut-il
donner davantage d'autonomie aux établissements et accompagner
celle-ci d'une évaluation ? " A priori, on devrait pouvoir
répondre à cette question par oui ou par non. Sauf que
les "questions possibles " notées juste en dessous
sous entendent implicitement une réponse positive à la
question principale. En effet, on demande, entre autre, de dire les
" marges de manuvre nouvelles qu'il faudrait donner aux établissements
scolaires ".
Voilà ce sont les premières idées qui me viennent.
Mon refus de participer à cette consultation ne veut surtout
pas dire qu'il ne faut pas occuper le terrain. En " interne éducation
nationale ", je propose de venir avec un texte réfléchi
sur le pourquoi de notre refus et de proposer d'autres pistes de réflexion
que je lierai plus comme je l'ai dit plus haut à notre pratique
quotidienne. En " externe ", il est certainement important
d'occuper le terrain pour faire réfléchir les gens sur
le sens et les dangers de cette consultation. Et peut-être pourquoi
pas comme l'A.G.U Ville Nouvelle voulait le faire, organiser des débats
parallèles.
Manu
Dimanche 23 novembre 2003